Fables de La Fontaine (éd. Barbin)/1/Conseil tenu par les Rats

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C’eſt un deſſein tres-dangereux
Que d’entreprendre de te plaire.
Les delicats ſont malheureux ;
Rien ne ſçauroit les ſatisfaire.


II.

Conſeil tenu par les Rats.



UN Chat nommé Rodilardus,

Faiſoit de Rats telle déconfiture,
Que l’on n’en voyoit preſque plus,
Tant il en avoit mis dedans la ſepulture.

Le peu qu’il en reſtoit n’oſant quitter ſon trou,
Ne trouvoit à manger que le quart de ſon ſou ;
Et Rodilard paſſoit chez la gent miſerable,
Non pour un Chat, mais pour un Diable.
Or un jour qu’au haut & au loin
Le galand alla chercher femme ;
Pendant tout le ſabat qu’il fit avec ſa Dame,
Le demeurant des Rats tint Chapitre en un coin
Sur la neceſſité preſente.
Dés l’abord leur Doyen, perſonne fort prudente,
Opina qu’il faloit, & pluſtoſt que plus tard,
Attacher un grelot au cou de Rodilard ;
Qu’ainſi quand il iroit en guerre,

De ſa marche avertis ils s’enfuïroient ſous terre.
Qu’il n’y ſçavoit que ce moyen.
Chacun fut de l’avis de Monſieur le Doyen,
Choſe ne leur parut à tous plus ſalutaire.
La difficulté fut d’attacher le grelot.
L’un dit : Je n’y vas point, je ne ſuis pas ſi ſot :
L’autre, Je ne ſçaurois. Si bien que ſans rien faire
On ſe quitta. J’ay maints Chapitres vûs,
Qui pour neant ſe ſont ainſi tenus ;
Chapitres, non de Rats, mais Chapitres de Moines,
Voire Chapitres de Chanoines.

Ne faut-il que deliberer ?
La Cour en Conſeillers foiſonne ;

Eſt-il beſoin d’executer ?
L’on ne rencontre plus perſonne.